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LA NUIT DE SONGES DE RENE DESCARTES
Fernand REYMOND
René Descartes, le maître de la raison, le père de la philosophie moderne, l’auteur du « Je pense, donc je suis ! » et du « Discours de la Méthode », avant sa savante carrière de philosophe, fut l’objet d’une expérience mentale qu’il qualifia d’enthousiasme, dans laquelle de jour il fut pris alors qu’il méditait dans son poêle, d’un état d’exaltation et la nuit d’une activité onirique intense, le 10 novembre 1619, qu’il attribua à une intervention divine.
Cette expérience mentale fut d’une si grande importance pour lui qu’il l’a consigna sur un parchemin, un mémoire qu’il intitula « Olympia ». Baillet son biographe traduisit en français ce texte écrit par Descartes en latin. Ce phénomène onirique fut déterminant et constitua pour Descartes, une véritable révélation divine et fut le prélude à sa rédaction du « Discours de la Méthode »
Quelques détails biographiques de Descartes sont nécessaires pour essayer de comprendre le sens de ses rêves.
René Descartes est né à La Haye en Touraine, d’une famille noble, il était le cadet d’une famille de trois enfants survivants, puisque un premier frère mort en bas âge, puis un frère et une sœur aînés vivants et enfin après lui un petit frère mort à la naissance qui tua sa mère.
Donc René fut orphelin de mère très jeune. Il hérita de sa mère une fortune qui aurait pu lui permettre durant toute sa vie de ne jamais travailler.
Descartes fut scolarisé au Collège Jésuite de la Flèche, jusqu’en classe de philosophie, puis passa son baccalauréat et sa licence en droit à Poitiers. Après il s’engagea comme mercenaire, militaire au service de différentes cours d’Europe, Hollande, Bavière etc…
En novembre 1619 il est au service du Duc de Bavière, il a pris ses quartiers d’hiver dans son poêle dans une ville à la frontière de la Bavière. C’est là, que dans la nuit du dimanche 10 novembre au lundi 11 novembre il fait sa mémorable nuit de songes.
Voici le texte intégral de sa nuit de songes d’après Baillet son biographe, dont on sait qu’il retranscrit le manuscrit du parchemin de Descartes, sauf qu’il est traduit en français et que le biographe fit passer le texte de la première à la troisième personne.
Le texte des songes transmis par Baillet
Il s'agit du texte proposé par Baillet, et reproduit ici avec une orthographe et une ponctuation modernisées. Ce récit, qui fut rédigé en latin, et sans doute à la première personne, a été conservé en français, à la troisième personne du singulier.
« Dans la nouvelle ardeur de ses résolutions, il entreprit d'exécuter la première partie de ses desseins qui ne consistait qu'à détruire. C'était assurément la plus facile des deux. Mais il s'aperçut bientôt qu'il n'est pas aussi aisé à un homme de se défaire de ses préjugés que de brûler sa maison. Il s'était déjà préparé à ce renoncement dès le sortir du collège. Avec toutes ces dispositions, il n'eut pas moins à souffrir que s'il eut été question de se dépouiller de soi-même. Il crut pourtant en être venu à bout. Et, à dire vrai, c'était assez que son imagination lui présentant son esprit tout nu pour lui faire croire qu'il l'avait mis effectivement en cet état. Il ne lui restait que l'amour de la Vérité, dont la poursuite devait faire dorénavant toute l'occupation de sa vie. Ce fut la matière unique des tourments qu'il fit souffrir à son esprit pour lors. Mais les moyens de parvenir à cette heureuse conquête ne lui causèrent pas moins d'embarras que la fin même. La recherche qu'il voulut faire de ces moyens jeta son esprit dans de violentes agitations, qui augmentèrent de plus en plus par une contention continuelle où il le tenait, sans souffrir que la promenade ni les compagnies y fissent diversion. Il le fatigua de telle sorte que le feu lui prit au cerveau, et qu'il tomba dans une espèce d'enthousiasme qui disposa de telle manière son esprit déjà abattu, qu'il le mit en état de recevoir les impressions des songes et des visions.
Il nous apprend que le dixième de novembre mille six cent dix-neuf, s'étant couché tout rempli de son enthousiasme et tout occupé de la pensée d'avoir trouvé ce jour-la les fondements de la science admirable, il eut trois songes consécutifs en une seule nuit qu'il s'imagina ne pouvoir être venus que d'en haut. Après s'être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentèrent à lui et qui l'épouvantèrent de telle sorte que, croyant marcher par les rues, il était obligé de se renverser sur le côte gauche pour pouvoir avancer au lieu où il voulait aller, parce qu'il sentait une grande faiblesse au côte droit dont il ne pouvait se soutenir.
Étant honteux de marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser; mais il sentit un vent impétueux qui, l'emportant dans une espèce de tourbillon, lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas encore ce qui l'épouvanta. La difficulté qu'il avait de se traîner faisait qu'il croyait tomber à chaque pas, jusqu'a ce qu' ayant aperçu un collège ouvert sur son chemin il entra dedans pour y trouver une retraite et un remède à son mal. Il tacha de gagner l'église du collège où sa première pensée était d'aller faire sa prière; mais s'étant aperçu qu'il avait passé un homme de sa connaissance sans le saluer, il voulut retourner sur ses pas pour lui faire civilité et il fut repoussé avec violence par le vent qui soufflait contre l'église. Dans le même temps, il vit au milieu de la cour du collège une autre personne qui l'appela par son nom en des termes civils et obligeants, et lui dit que, s'il voulait aller trouver Monsieur N., il avait quelque chose à lui donner. M. Descartes s'imagina que c'était un melon qu'on avait apporté de quelque pays étranger. Mais ce qui le surprit davantage fut de voir que ceux qui se rassemblaient avec cette personne autour de lui pour s'entretenir étaient droits et fermes sur leurs pieds, quoiqu'il fut toujours courbé et chancelant sur le même terrain et que le vent qui avait pensé le renverser plusieurs fois eut beaucoup diminué. Il se réveilla sur cette imagination et il sentit à l'heure même une douleur effective qui lui fit craindre que ce ne fut l'opération de quelque mauvais génie qui l'aurait voulu séduire. Aussitôt il se retourna sur le côté droit, car c'était sur le gauche qu'il s'était endormi et qu'il avait eu le songe. Il fit une prière à Dieu pour demander d'être garanti du mauvais effet de son songe et d'être préservé de tous les malheurs qui pourraient le menacer en punition de ses péchés qu'il reconnaissait pouvoir être assez griefs pour attirer les foudres du ciel sur sa tête, quoiqu'il eut mené jusque-là une vie assez irréprochable aux yeux des hommes.
Dans cette situation, il se rendormit après un intervalle de près de deux heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde. Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans lequel il crut entendre un bruit aigu et éclatant qu'il prit pour un coup de tonnerre. La frayeur qu'il en eut le réveilla sur l'heure même, et, ayant ouvert les yeux, il aperçut beaucoup d'étincelles de feu répandues par la chambre. La chose lui était déjà souvent arrivée en d'autres temps et il ne lui était pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la nuit d'avoir les yeux assez étincelants pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui. Mais en cette dernière occasion, il voulut recourir à des raisons prises de la philosophie et il en tira des conclusions favorables pour son esprit, après avoir observé en ouvrant puis en fermant les yeux alternativement la qualité des espèces qui lui étaient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa et il se rendormit dans un assez grand calme.
Un moment après, il eut un troisième songe qui n'eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier, il trouva un livre sur sa table sans savoir qui l'y avait mis. Il l'ouvrit, et voyant que c'était un Dictionnaire, il en fut ravi dans l'espérance qu'il pourrait lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main qui ne lui était pas moins nouveau, ne sachant d'où il lui était venu. Il trouva que c'était un recueil des poésies de différents auteurs, intitulé Corpus poetarum. Il eut la curiosité d'y vouloir lire quelque chose, et à l'ouverture du livre il tomba sur le vers Quod vitte sectabor iter etc. Au même moment, il aperçut un homme qu'il ne connaissait pas mais qui lui présenta une pièce de vers commençant par Est et Non, et qui la lui vantait comme une pièce excellente. M. Descartes lui dit qu'il savait ce que c'était et que cette pièce était parmi les" Idylles" d'Ausone qui se trouvait (sic) dans le gros Recueil des Poètes qui était sur sa table. Il voulut la montrer lui-même à cet homme, et il se mit à feuilleter le livre dont il se vantait de connaître parfaitement l'ordre et l'économie. Pendant qu'il cherchait l'endroit, l'homme lui demanda où il avait pris ce livre et M. Descartes lui répondit qu'il ne pouvait lui dire comment il l'avait eu, mais qu'un moment auparavant il en avait manié encore un autre qui venait de disparaître, sans savoir qui le lui avait apporté, ni qui le lui avait repris. Il n'avait pas achevé qu'il revit paraître le livre à l'autre bout de la table. Mais il trouva que ce Dictionnaire n'était plus entier comme il l'avait vu la première fois. Cependant, il en vint aux poésies d'Ausone dans le Recueil des Poètes qu'il feuilletait, et ne pouvant trouver la pièce qui commence par Est et Non, il dit à cet homme qu'il en connaissait une du même poète encore plus belle que celle là et qu'elle commençait par Quod vitte sectabor iter. La personne le pria de la lui montrer et M. Descartes se mettait en devoir de la chercher, lorsqu'il tomba sur divers petits portraits gravés en taille-douce, ce qui lui fit dire que ce livre était fort beau mais qu'il n'était pas de la même impression que celui qu'il connaissait. Il en était là lorsque les livres et l'homme disparurent et s'effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller. Ce qu'il y a de singulier à remarquer, c'est que, doutant si ce qu'il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c'était un songe, mais il en fit encore l'interprétation avant que le sommeil le quittât. Il jugea que le Dictionnaire ne voulait dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble, et que le Recueil de Poésies intitulé Corpus Poetarum marquait, en particulier et d'une manière plus distincte, la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne croyait pas qu'on dut s'étonner si fort de voir que les poètes, même ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves, plus sensées et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des philosophes. Il attribuait cette merveille à la divinité de l'Enthousiasme et à la force de l'Imagination, qui fait sortir des sentences de la sagesse (qui se trouvent dans l'esprit de tous les hommes comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité, et beaucoup plus de brillant même, que ne peut le faire la Raison dans les Philosophes. M. Descartes, continuant d'interpréter son songe dans le sommeil, estimait que la pièce de vers sur l'incertitude du genre de vie qu'on doit choisir, et qui commence par Quod vit sectabor iter, marquait le bon conseil d'une personne sage, ou même la Théologie morale. Là-dessus, doutant s'il rêvait ou s'il méditait, il se réveilla sans émotion et continua, les yeux ouverts, l'interprétation de son songe sur la même idée. Par les poètes rassemblés dans le recueil il entendait la Révélation et l'Enthousiasme dont il ne désespérait pas de se voir favorisé. Par la pièce de Vers Est et Non, qui est le Oui et le Non de Pythagore, il comprenait la Vérité et la Fausseté dans les connaissances humaines et les sciences profanes. Voyant que l'application de toutes ces choses réussissait si bien à son gré, il fut assez hardi pour se persuader que c'était l'Esprit de Vérité qui avait voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et comme il ne lui restait plus à expliquer que les petits portraits de taille-douce qu'il avait trouvés dans le second livre, il n'en chercha plus l'explication après la visite qu'un peintre italien lui rendit dès le lendemain.
Ce dernier songe, qui n'avait eu rien que de fort doux et de fort agréable, marquait l'avenir selon lui et il n'était que pour ce qui devait lui arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit les deux précédents pour des avertissements menaçants touchant sa vie passée qui pouvait n'avoir pas été aussi innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que c'était la raison de la terreur et de l'effroi dont ces deux songes étaient accompagnés. Le melon dont on voulait lui faire présent dans le premier songe signifiait, disait-il, les charmes de la solitude, mais avoir mal au côte droit, n'était autre chose que le mauvais Génie qui tachait de le jeter par force dans un lieu où son dessein était d'aller volontairement. C'est pourquoi Dieu ne permit pas qu'il avança plus loin, et qu'il se laissa emporter, même en un lieu saint, par un Esprit qu'il n'avait pas envoyé, quoiqu'il fut très persuadé que c'eut été l'Esprit de Dieu qui lui avait fait faire les premières démarches vers cette Église. L'épouvante dont il fut frappé dans le second songe marquait, a son sens, sa syndérèse, c'est-à-dire les remords de sa conscience touchant les péchés qu'il pouvait avoir commis pendant le cours de sa vie jusqu'alors. La foudre dont il entendit l'éclat était le signal de l'Esprit de vérité qui descendait sur lui pour le posséder.
Cette dernière imagination tenait assurément quelque chose de l'Enthousiasme et elle nous porterait volontiers à croire que M. Descartes aurait bu le soir avant que de se coucher. En effet, c'était la veille de saint Martin, au soir de laquelle on avait coutume de faire la débauche au lieu où il était comme en France. Mais il nous assure qu'il avait passé le soir et toute la journée dans une grande sobriété, et qu'il y avait trois mois entiers qu'il n'avait bu de vin. Il ajoute que le Génie, qui excitait en lui l'enthousiasme dont il se sentait le cerveau échauffé depuis quelques jours, lui avait prédit ces songes avant que de se mettre au lit, et que l'esprit humain n'y avait aucune part.
Quoi qu'il en soit, l'impression qui lui resta de ces agitations lui fit faire le lendemain diverses réflexions sur le parti qu'il devait prendre. L'embarras ou il se trouva le fit recourir à Dieu pour le prier de lui faire connaître sa volonté, de vouloir l'éclairer et le conduire dans la recherche de la vérité. Il s'adressa ensuite à la sainte Vierge pour lui recommander cette affaire qu'il jugeait la plus importante de sa vie. Et pour tacher d'intéresser cette bienheureuse Mère de Dieu d'une manière plus pressante, il prit occasion du voyage qu'il méditait en Italie dans peu de jours pour former le vœu d'un pèlerinage à Notre Dame de Lorette. Son zèle allait encore plus loin et lui fit promettre que, dès qu'il serait a Venise, il se mettrait en chemin par terre pour faire le pèlerinage à pied jusqu'a Lorette; que si ses forces ne pouvaient pas fournir à cette fatigue, il prendrait au moins l'extérieur le plus dévot et le plus humble qu'il lui serait possible pour s'en acquitter. Il prétendait partir avant la fin de novembre pour ce voyage. Mais il paraît que Dieu disposa de ses moyens d'une autre manière qu'il ne les avait proposés. Il fallut remettre l'accomplissement de son vœu à un autre temps, ayant été obligé de différer son voyage d'Italie pour des raisons que l'on n'a point sues, et ne l'ayant entrepris qu'environ quatre ans depuis cette résolution.
Son enthousiasme le quitta peu de jours après, et quoique son esprit eut repris son assiette ordinaire et fut rentré dans son premier calme, il n'en devint pas plus décisif sur les résolutions qu'il avait a prendre. Le temps de son quartier d'hiver s'écoulait peu a peu dans la solitude de son poêle ... »
Interprétation des songes selon l’oniromancie grecque antique.
EPIDAURE ET ASCLEPIOS DIEU DE LA MEDECINE ET DE L'ONIROMANCIE
Asclépios est le fils d'Apollon. Sa mère, Coronis, fille de Phégyas, roi de Thessalie, est tuée par Artémis parce qu'elle a trompé son divin amant avec un mortel, Ischys. Mais au moment où son corps brûle sur le bûcher funéraire, Apollon extrait du sein maternel son enfant encore vivant et le confie au centaure Chiron. A l'école de ce maître, Asclépios acquiert la connaissance des incantations, des philtres, des drogues et de la chirurgie. Athéna lui remet comme potion magique le sang de la Gorgone qui, tiré du côté gauche du monstre, est un poison mortel et, tiré du côté droit, un remède miracle qui ressuscite les morts.
Asclépios met son savoir au service des hommes et ses pouvoirs sont si grands que les malades sont guéris et les morts ressuscités. Mais l'ordre du monde est bouleversé. Les hommes vont-ils devenir immortels et les dieux perdre leurs privilèges? Zeus, maître de l'univers, ne peut accepter ce désordre: il se fâche et foudroie le responsable de cette révolution. Asclépios ne disparaît pas pour autant ; il ne rejoint pas les enfers et devient Dieu a part entière. On le voit dans le ciel sous la forme d'une constellation, le Serpentaire.
Il est un dieu bienfaisant, le fils de Phoebus, le soleil. Son symbole est celui de la médecine, le caducée: un serpent enroulé autour d'un bâton.
Le culte d'Asclépios se tenait à Epidaure, le sanctuaire de la médecine, dans le Péloponèse.
Sur ce site, se trouvait le temple d'Asclépios où exerçaient les prêtres médecins d'Asclépios, dans la Tholos, un temple circulaire, un stade pour des concours athlétiques et le plus grand théâtre de la Grèce antique.
La cure thérapeutique des malades en pèlerinage au sanctuaire d'Epidaure, se déroulait selon un protocole très strict. Ils devaient d'abord se purifier, avant d'entrer dans le sanctuaire, par des ablutions d'eau ; durant leur séjour, ils devaient s'abstenir de toute relation sexuelle. Ils passaient leur première nuit dans un hôtel sacré, l'Abaton, qui constituait l'incubateur. Cet hôtel grouillait de serpents non venimeux comme la couleuvre. Durant la nuit passée dans l'Abaton, le dieu Asclépios inspirait aux malades des rêves. Le lendemain, ils sortaient de l'Abaton et entraient dans la Tholos où ils consultaient les prêtres médecins d'Asclépios. Ils leur racontaient les rêves qu'Asclépios leur avait inspirés et les docteurs leur interprétaient les rêves, puis leur donnaient des conseils hygiéno-diététiques. Ensuite, au centre de la Tholos se trouvait un trou où l'on précipitait les malades dans un labyrinthe empli de serpents non venimeux. Durant leur recherche de la sortie du labyrinthe, ils avaient tout le temps de méditer sur les formules métaphoriques et symboliques que leur avaient données les prêtres pour interpréter leurs rêves. Après la sortie du labyrinthe, la cure se poursuivait par des spectacles tragiques au grand théâtre en plein air où les comédiens leur présentaient les grands mythes de la culture grecque qui étaient le fondement de leur inconscient collectif.
Aristote, le philosophe macédonien fondateur à Athènes de l'école philosophique le Lycée, prétendait que l'art et notamment la tragédie et la représentation des grands mythes grecs avait une fonction de catharsis.
LA CATHARSIS
Le mot grec catharismos signifie pureté. Pour Aristote, l'effet de catharsis de l'art sur les hommes était une purification des passions humaines.
En effet la représentation des grands mythes tragiques exaltant la vie des héros mythiques, en proie aux passions démesurées, avait sur les spectateurs un effet de décharge affective qui épurait les passions, par le biais des émotions suscitées par le jeu des acteurs. Les sujets pouvaient prendre de la distance vis à vis de leurs pulsions et les sublimer, les domestiquer, les critiquer, les dompter, en constatant les effets néfastes de telles passions sur le déroulement de la vie des héros.
Asclépios et Epidaure étaient donc le lieu thérapeutique d'une forme ancienne et traditionnelle de psychosomatique. Les traitements y étaient plus psychiques que physiologiques.
Psychologique d'une part avec l'oniromancie des prêtres d'Asclépios, c'est à dire l'interprétation des rêves des malades, tout comme la psychanalyse moderne qui n'a rien inventé, mais a trouvé ses sources et ses origines dans la tradition hellénique.
Psychologique, d'autre part, avec l'utilisation de l'effet cathartique de la catharsis, de purification au sens aristotélicien, par les représentations tragiques des grands mythes grecs.
Les psychanalystes modernes diraient que l'interprétation des rêves des prêtres d'Asclépios et les spectacles de tragédies au grand théâtre d'Epidaure avaient pour fonction de révéler aux patients les forces obscures de leur inconscient et de leur faire prendre conscience des phantasmes inconscients qui structurent leur mental et sont la source de leurs maux psychiques et physiques. Il s'agissait donc déjà en ces temps médicaux antiques d'une véritable psychosomatique.
On a lu que Descartes considérait que ses songes lui avaient été inspirés par Dieu lui-même, ce qui est conforme à la tradition grecque antique, où les rêves de mortels étaient inspirés par les dieux, Zeus, Hermès ou Asclépios.
Descartes parle aussi de son enthousiasme qui a préludé à ses rêves, or enthousiasme en grec veut dire possédé par les dieux, délire sacré, dans enthousiasme il y a le mot théo c'est-à-dire dieu.
interpretation psychanalytique des songes
En psychanalyse, selon Freud, les rêves sont l’expression d’un phantasme inconscient, d’un Désir inconscient. Le discours du rêve rapporté par le patient est ce que les psychanalystes appellent le contenu manifeste du rêve, c'est-à-dire le discours arrivé à la conscience, qui s’oppose au contenu latent du rêve, c'est-à-dire le contenu inconscient du rêve, le discours caché, refoulé. Ce qui différencie le contenu manifeste du contenu latent du rêve, c’est l’effort de la censure qui pour le conscient a travesti le discours latent pour le rendre politiquement correct, conforme aux vœux du censeur le Surmoi, l’instance de la loi.
Pour travestir le contenu latent, la censure lui fait subir des transformations, des métamorphoses pour rendre le contenu manifeste plus conforme à la morale chrétienne.
Les procédés de travestissement sont de plusieurs ordres.
Ils jouent sur les mots et les figures de rhétoriques de la langue.
Les procédés sont la condensation, c'est-à-dire que plusieurs signifiés sont condensés en un seul signifiant, c’est le procédé de la figure de la métaphore poétique. Mais aussi le déplacement, c'est-à-dire qu’un signifié est remplacé par un autre signifié qui a un rapport de contiguïté avec lui et c’est le procédé de la figure de rhétorique de la métonymie, par exemple un bateau sera remplacé par une voile.
La censure use aussi de toutes les ressources des symboles et des allégories.
Les rêves sont symboliques et allégoriques.
Loi du retournement entre les phantasmes individuels et les mythes collectifs :
Les phantasmes individuels inconscients correspondent à des mythes collectifs.
« L’inconscient n’est ni individuel, ni collectif, il est trans-individuel, il est déjà écrit quelque part, sur les monuments, dans les mythes, les légendes, les contes, les archives de la famille. »
Selon Jacques Lacan dans sa conférence : « Fonction et champ du langage et de la parole en psychanalyse. »
Psychanalyse des songes de Descartes :
Le premier rêve de Descartes est entièrement centré sur un phantasme inconscient individuel correspondant au mythe collectif d’Œdipe.
Court rappel d’Œdipe et de sa généalogie :
Œdipe est issu de la dynastie des Labdacide, rois de Thèbes.
Son grand père Labdacos était boiteux, son Père Laïos inverti, homosexuel, et Œdipe en grec veut dire « Pieds enflés » car à sa naissance, l’oracle déclara que ce fils tuera son père. Pour exorciser cet oracle Laïos fit percer les pieds du bébé avec un pieu et le fit abandonner sur la montagne du Cithéron par un serviteur. Le serviteur prit de pitié, renonça a accomplir ce crime et clandestinement amena Œdipe au Roi de Corinthe qui l’adopta.
Donc les Labdacide, Labdacos, Laïos et Œdipe ne marchent pas droit, ils ont vis-à-vis de la normalité un handicap dommageable pour une famille royale qui d’habitude doit représenter à ses sujets un modèle familial idéal servant d’exemple au menu peuple.
Œdipe adolescent croit que le Roi de Corinthe et sa reine son réellement ses géniteurs. Jeune adulte comme tous les grecs, il se rend en pèlerinage au Sanctuaire d’Apollon à Delphes pour consulter la Pythie et prédire son avenir. L’oracle est formel, il tuera son père et couchera avec sa mère. Effrayé Œdipe fuit Corinthe et ses parents adoptifs pour faire mentir l’oracle.
Il erre longtemps en Grèce, jusqu’au jour où à une croisée de chemins, il a une dispute avec un voyageur d’un certain âge, pour une question de préséance, de priorité de passage, la dispute s’envenime et les protagonistes se battent en duel et Œdipe tue Laïos son père, son géniteur, car en fait c’était lui, à l’insu d’Œdipe. Puis Œdipe continue son chemin jusqu’à Thèbes qu’il ne connaît pas et où sévit une Sphynge qui tue tous les jeunes thébains qui ne savent pas répondre à l’énigme qu’elle leur pose. La Sphynge terrorise Thèbes, celui qui la vaincra sera fait Roi de Thèbes et épousera la Reine Jocaste, la femme de Laïos.
Œdipe se présente à la Sphynge et répond correctement à son énigme :
« Quel animal, marche le matin à quatre pattes, le midi sur deux et le soir sur trois pattes ? »
Œdipe répond « L’homme, bébé à quatre pattes, jeune sur deux pattes et au soir de sa vie sur trois pattes car il a besoin d’une canne ! »
La Sphynge est aussitôt terrassée et meurt. Œdipe, consacré Roi, épouse Jocaste dont il aura plusieurs enfants, Thèbes est longtemps prospère sous son règne, jusqu’à ce que la peste la dévaste et décime ses habitants. Œdipe pense que l’un des ses sujets a du commettre un crime sacrilège qui a entraîné le courroux des Dieux qui répandent la peste sur la ville. Il décide d’interroger le devin Tirésias, car il doit savoir qui est responsable de la malédiction qui est tombé sur la ville. Tirésias répond à Œdipe que celui-ci est le mieux placé pour répondre à cette question, car lui dit il, c’est lui Œdipe le coupable qui a tué son père et couché avec sa mère, parricide et inceste ! Œdipe désespéré se crève les yeux et part en exil tandis que Jocaste se suicide.
Le premier rêve de Descartes, répond au même scénario, Descartes ne peut plus marcher du côté droit, il penche à gauche comme les Labdacide, il est boiteux. Un mauvais génie métamorphosé en vent violent le fait tourner sur son pied gauche comme une girouette, jusqu’à ce qu’il voit l’entrée d’un collège où se réfugier. Allusion au Collège des Jésuites de La Flèche qui l’a sorti du giron familial. Là dans la cour du collège, un mauvais génie lui intime d’entrer dans l’église, l’église ici symbolise l’enceinte close, l’utérus maternel, la mère interdite, mais Dieu le Père le dissuade d’y entrer et il est sauvé. Au réveil Descartes ne renonce pas pour autant à retourner dans le giron maternel puisqu’il se promet d’aller en pèlerinage à Notre Dame de Lorette, Notre Dame, c’est la Vierge, c’est l’équivalent chrétien des déesses mères païennes, comme Gaïa, Astarté, Déméter et l’Artémis d’Ephèse.
INTERPRETATION PHILOSOPHIQUE DES SONGES DES DESCARTES
Dans le premier rêve Descartes, est divisé entre l’influence d’un mauvais génie et celle de Dieu. Dans le « Discours de la Méthode » dit qu’il doute de ses sens, il craint qu’un mauvais génie ne le trompe, ne le leurre avec des hallucinations, des illusions. Il en déduit donc que l’être n’est pas dans les sens, dans le corps. Mais dans son doute généralisé, il y a une chose dont il ne peut pas douter, c’est qu’il pense, donc il en conclue « Je pense, donc je suis ! » « Cogito ergo sum! » C’est avec Descartes que la philosophie fit résider l’Etre dans la pensée. Donc, déjà dans ce premier rêve, Descartes a élaboré les rudiments de son fameux aphorisme. Un mauvais génie peut le tromper, mais il y a une chose qui lui appartient en propre c’est sa pensée qui résume son être.
Dans le troisième rêve, Descartes débat mentalement sur le sujet suivant qui le tracasse :
Des avantages respectifs de la poésie et de la philosophie pour accéder à la sagesse.
La naissance de la philosophie en Grèce fut le passage initiatique de la pensée mythologique chantée par les poètes comme Homère à la pensée rationnelle débarrassée de la superstition.
L’émancipation des hommes grecs vis-à-vis des Dieux.
Mais les premiers philosophes grecs, ceux que l’on appelle les Présocratiques, c'est-à-dire Thalès de Milet, Anaximène, Anaximandre, Héraclite, Parménide et Pythagore, certes ils firent le saut de la pensée mythique à la pensée rationnelle, mais néanmoins ils exprimèrent leur philosophie plus en poésie qu’en prose. D’ailleurs Nietzsche, bien après Descartes, fit l’apologie des Présocratiques, et reconnut que la philosophie devait plus faire appel à la poésie qu’à la prose, plus à la métaphore qu’au concept abstrait mathématique. Le philosophe allemand du XX ème siècle Heidegger préconisait un retour à la méthode présocratique de la philosophie poétique.
Donc Descartes cette nuit là, en était là de sa réflexion sur les avantages respectif de la poésie et de la philosophie pour accéder à la sagesse. On sait qu’elle solution il choisit, lui qui fit de la philosophie une science, lui qui était mathématicien, inventeur de la géométrie analytique.
C’est lui qui, avec son « Discours de la méthode » érigea la philosophie en science quasi mathématique.
conclusion
Nombre de philosophes eurent dans leur existence une expérience psychique déterminante à la limite de la raison et de la folie, ce type d’expérience où l’inconscient règne en maître déclenche des intuitions géniales qui bouleversent les cadres rigides de la pensée contemporaine et révolutionnent les modes de pensée. Descartes a fait une telle expérience, c’est sa nuit de songes dans son poêle, qui subvertit la philosophie scolastique de la Sorbonne sclérosée par l’inquisition religieuse et qui ne faisait que ruminer les dogmes irrationnels du catéchisme de l’église catholique apostolique et romaine, qui avait brûlé Giordano Bruno et menaçait de brûler Galilée. Descartes définissait une philosophie dualiste divisée entre le corps et l’esprit, certes un idéalisme ontologique c'est-à-dire un idéalisme de l’être, avec une âme immortelle et un corps corruptible, mais pas un idéalisme gnoséologique comme le voulait l’église catholique, c'est-à-dire un idéalisme qui prétend que seul l’esprit inné peut accéder à la connaissance et que l’expérience perceptive des sens qui est illusoire ne peut amener au savoir. Descartes au contraire défendait une connaissance expérimentale, empirique, il était contre l’idéalisme gnoséologique de l’église catholique, d’ailleurs il redoutait sa sainte inquisition et se tenait loin de l’emprise de Rome en vivant en pays protestant.
C’est en tant que psychiatre grand amateur de philosophie que j’ai voulu montrer comment les expériences psychiques, comme l’enthousiasme et l’onirisme à la limite du délire, peuvent quelques fois faire accéder, celui qui en est la victime, au summum de la raison rationnelle.
J’ai voulu monter que la barrière entre la raison géniale et le délire est quelquefois très mince. J’ai aussi voulu présenter le rôle de l’inconscient et de ses phantasmes dans la genèse d’intuitions géniales. Le génie et le fou fréquentent intimement les frontières de la psyché, là où les prudents ne s’aventurent pas, mais ce caractère timoré les rend stériles sur le plan de la création, par contre le fou, l’artiste et le génie paradoxalement explorent des territoires qui les rendent plus perméables a un savoir transcendant. C’est ce que Salvador Dali appelait « La paranoïa critique ».
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