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BEAUMARCHAIS
« Faire à la fois le bien public et particulier, chef d’œuvre de morale en vérité, Monseigneur ! »
Figaro à Almaviva dans « Le barbier de Séville » de BeaumarchaisLE MAITRE HORLOGER
Pierre Augustin Caron naît en 1732 à Saint Denis dans la famille d’un maître horloger.
Il a une enfance heureuse entourée de ses sœurs avec lesquelles il fait de la musique et de la poésie. Ses études au collège sont très courtes, jusqu’à l’âge de treize ans où il entre en apprentissage chez son père. Il se révèlera un excellent artisan, qui perfectionnera l’horlogerie. Il invente à vingt et un ans un nouveau mouvement d’horlogerie qui permettra de miniaturiser les montres. Cela fera sa fortune, il devient dès lors horloger de la cour de Louis XV en confectionnant, pour la Pompadour la favorite du Roi, une montre sertie dans un chaton de bague et pour le Roi une montre ultra plate. Il entre à la cour de Versailles où sa maîtresse Madame Franquet lui obtient la charge de Contrôleur de la bouche, charge que son vieux mari ne peut plus assurer à cause de son grand âge. Caron fils accompagne donc, l’épée au côté, la viande à la table de sa majesté. L’année d’après, le cocu étant décédé il épouse sa veuve, qui dispose d’un domaine au lieudit Beaumarchais ; Caron fils se débaptise et prend le nom plus noble de « de Beaumarchais » On l’oublie comme roturier horloger, il devient maître de musique de Mesdames, les sœurs de Louis XV.
C’est la Pompadour qui l’a introduit à la cour et le mari complaisant de celle-ci, le fermier général Lenormand d’Etiole qui ne regarde pas aux infidélités de son épouse avec Louis XV, fera sa fortune en lui présentant son oncle Duverney le plus riche financier du royaume qui intéressera Beaumarchais à ses spéculation financières, en faisant de lui son fondé de pouvoir. Duverney, de plus obtient pour Beaumarchais, la charge de Lieutenant général des chasses du Roi, qui fera de lui le juge des braconniers jusqu’à la révolution. Il vit sur un grand pied dans un hôtel particulier Rue Condé. Sa femme meurt rapidement.
Durant son alliance avec la Pompadour et son mari Lenormand d’Etiole dans leur château d’Etiole, Beaumarchais écrit et fait jouer des pièces de théâtre d’un genre mineur, mais qui sont pour lui des coups d’essai d’une future fameuse carrière d’auteur dramatique.
Ces pièces préfigurent ses chefs d’œuvres, il y a en germe le scénario du barbier de Séville avec un barbon, un galant et une ingénue délurée.
Nous sommes au Château d’Etiole, où Beaumarchais vient de donner un de ses divertissements, une de ses comédies bouffonnes.
La Pompadour diva adulée de la cour est pour une fois loin de son amant royal et auprès de son époux Lenormand dans le nouveau château que celui-ci a fait construire pour elle. Elle interpelle Beaumarchais :
- Il y a du Rabelais chez vous, du picaresque !
- Madame, ce maître de la langue française m’inspire beaucoup et je voudrais chez vous en ce château faire votre abbaye de Thélème à la mode rabelaisienne.
- Vous aimez, dans vos pièces, jouer sur les mots !
- Madame, la langue ce ne sont que métaphores et métonymies, qui se prêtent aux mots d’esprit, la langue est cadrée par la loi de la grammaire et en même temps elle peut être subvertie par le désir qui fait glisser le sens du propre au figuré, pour se rire du conformisme.
- Vous avez le goût de l’allusion érotique !
- Madame, Eros n’est il pas l’archer de nos fantaisies, la flèche de notre élan vital, le trublion de notre vie rangée, le chef d’orchestre de nos passions ?
Lenormand le mari, qui apprécie Beaumarchais, lui dit :
- Que de chemin vous avez accompli depuis l’époque où artisan horloger vous régliez l’heure de la cour ; je crois que vous avez gardé du métier le sens de Chronos le dieu grec du temps !
- Chronos ou Saturne chez les romains, rythme toute notre vie d’humain, il accélère ou il ralentit la mesure de notre métronome, c’est lui qui fait nos scherzos ou nos allégros, c’est lui qui nous précipite vers la mort ou nous berce de félicité, qui nous fait courir avec allégresse vers l’objet de notre désir ou sombrer dans la statique interminable de la mélancolie, du deuil. Saturne chez les romains était l’objet de fêtes licencieuses, où les orgies, les bacchanales, la sexualité s’en donnaient à cœur joie. Durant les Saturnales, les barrières sociales tombaient, il n’y avait plus de maître et d’esclave, plus de nobles et de serfs, c’était le retour à l’âge d’or. Dans mes pièces les domestiques sont arrogants, railleurs, désinvoltes, fripons, farceurs, vous avez raison je suis un adepte de Saturne !
La Pompadour reprend :
- Vous faites souffler dans vos pièces, un vent de révolte chez les plébéiens, ne seriez vous pas influencé par ces nouveaux philosophes qui veulent tout changer dans la société.
Voltaire, Rousseau et ce Diderot avec son encyclopédie, je soupçonne votre allégeance à leurs idées subversives ?
- Madame, je ne suis pas un libertaire, je reconnais qu’il faut un certain ordre dans la société, mais je pense que le tiers état a droit à une possibilité de promotion sociale et que la noblesse aurait tout à gagner à ne pas mésestimer le rôle de la bourgeoisie dans la production des richesses de ce pays !
Lenormand lui lance :
- Je crois qu’avec mon aristocrate d’oncle Duverney vous avez eu une sacrée promotion sociale puisqu’il vous associe à ses affaires qui sont fabuleuses. Vous êtes un opportuniste qui ne rate aucune occasion de faire carrière, mais je sais qu’en beaucoup de domaines vous avez du talent, mécanique, musique, théâtre et aussi paradoxalement dans les finances, ce qui n’est pas très classique ce type de compétences multiples. En général on est, ou savetier ou financier, mais jamais les deux à la fois !
- Monsieur, j’ai de l’ambition, mais je suis probe, je cherche à concilier l’intérêt particulier avec l’intérêt public, ce qui n’est pas toujours facile. De plus si j’allie la finance à l’art, c’est que je ne suis pas un fanatique de l’avoir, j’aspire aussi à être et quoi de plus généreux que l’art !
La Pompadour rétorque : - Parlez nous du procès que vous plaidez actuellement !
- Madame, comme vous le savez je suis l’inventeur d’un mouvement d’horlogerie révolutionnaire, qui permet de réduire grandement la taille des montres. Jeune professionnel naïf, je me suis confié de cette invention à un grand confrère, qui m’a volé le brevet. Je lui ai fait un procès et depuis je rédige des mémoires pour ma défense. Le procès est en bonne voie, car l’académie des sciences qui arbitre le conflit penche en ma faveur, j’ai bon espoir de gagner !
LE BARBIER DE SEVILLE
Beaumarchais est chargé, en tant que fondé de pouvoir du financier Duverney, d’une mission dans le royaume d’Espagne. Il doit faire avancer un certain nombre de projets à la demande du Roi d’Espagne Charles III, comme l’irrigation de la Sierra Morena et la fourniture de vivres à l’armée espagnole. Durant son voyage espagnol il passe son temps en plus de ses affaires à la cour de Madrid, à fréquenter ministres et ambassadeurs et toute la haute société madrilène.
Il a fait le voyage avec sa maîtresse la Marquise de La Croix.
Il ne se limite pas qu’à la cour, il va aussi près du peuple et curieux de tout il ouvre ses yeux sur la rue madrilène, les scènes de fêtes de noël, le fandango, les chants et toutes les danses ibériques, c’est là qu’il situera son Barbier de Séville, un pièce imitée de l’espagnol.
Ce soir il est reçu à la cour avec sa maîtresse la Marquise de La Croix.
Le Roi Charles III les remarque tout deux. Il s’approche et interpelle Beaumarchais :
- Monsieur, on m’a dit que vous vous occupez d’un projet qui me tient à cœur, l’irrigation de la Sierra Morena ?
- Effectivement sire ! Je suis envoyé par monsieur Duverney de Paris
- Présentez moi donc cette splendide jeune personne qui vous accompagne !
- Sire voici la Marquise de La Croix !
- Pour vous servir majesté ! Reprend la marquise.
- Venez par ici ma belle que nous fassions plus amplement connaissance ! Vous permettez mon cher Beaumarchais que je vous la subtilise ?
- Avec grâce sire, la marquise est libre, et trouvera, auprès de votre majesté, beaucoup plus attrayant qu’avec moi qui ne suis qu’un amant de passage, de basse extraction !
Et c’est ainsi que Beaumarchais offrit sa maîtresse à l’un des souverains les plus puissants d’Europe qui en fit bon usage.
Beaumarchais profite de cette liberté pour se faire des relations. Puis il rentre à Paris, où il poursuit intensivement son affairisme et rédige un drame « Eugénie » qui sera joué à la comédie française. Puis « Le sacristain » une pièce qui préfigure « Le Barbier de Séville ».
Son protecteur, le financier Duverney rédige un acte précisant les droits de Beaumarchais à sa succession en cas de décès. Le protecteur décède quatre mois après, la fortune de Beaumarchais est assurée mais c’était sans compter avec le neveu du financier nommé de la Blache qui conteste la part d’héritage qui revient à Beaumarchais et qui l’entraîne durant des années dans une série de procès interminables. Beaumarchais écrit la première version du Barbier de Séville, ornée d’airs espagnols souvenir de son voyage à Madrid, mais aussi encombrée de références à la ses procès qui surchargent le texte, la première jouée à la comédie française est un échec retentissant, mais quatre jours après Beaumarchais présente une nouvelle version épurée qui est un triomphe. Ses démêlés judiciaires lui font grand tort car il attaque un juge, Goëzman, il perd son procès et est destitué de ses droits civiques. Cette condamnation infamante est une véritable mort civile qui lui interdit d’exercer une fonction publique. Pour rentrer de nouveau en estime auprès du roi Louis XV, il se met à son service dans des missions délicates au titre d’agent secret de sa majesté.
Sa première mission, à Londres consiste à obtenir d’un gazetier, la destruction d’un pamphlet contre Mme du Barry, il réussit l’exploit, mais à son retour à Paris il ne peut obtenir les dividendes de son succès car Louis XV est mort et Louis XVI lui succède,la du Barry étant complètement oubliée. Mais par chance Louis XVI fait appel à ses services, pour neutraliser un maître chanteur qui s’apprête à diffuser un libelle attestant l’impuissance du nouveau roi et la stérilité du couple royal. Pour se faire il se lance dans une folle équipée à travers l’Europe, d’Angleterre en Autriche via l’Allemagne. Mission accomplie il rentre à Paris pour assister au triomphe du Barbier de Séville. De nouveau missionné par le ministre Sartine il repart pour Londres auprès du fameux Chevalier d’Eon cet être androgyne, mi homme mi femme, qui détient des papiers très compromettants pour les relations diplomatiques franco-anglaises. Il s’en tire de nouveau avec succès malgré le rusé et retors d’Eon difficile en affaires. A son retour, son blâme judiciaire infamant est levé, et plus tard son procès, contre de la Blache, gagné à la cour d’Aix en Provence où les aixois lui font fête.
LE MARIAGE DE FIGARODurant sa brève carrière d’agent secret, Beaumarchais a fait la connaissance à Londres d’Arthur Lee député secret des colonies américaines déjà en conflit avec la couronne d’Angleterre. Il prend parti aussitôt pour les insurgents, les indépendantistes américains. Il se fait leur ambassadeur auprès du Roi de France Louis XVI. Il pense que leur initiative va dans le sens de la philosophie des lumières et soutient leur combat pour la liberté et la démocratie.
Auprès du Roi Louis XVI il défend que après les humiliations que l’Angleterre à fait subir à la France à la fin de la guerre de sept ans, avec les pertes de sa colonie du Canada et de ses comptoirs de l’Inde, la France doit se venger en soutenant les américains dans leur guerre d’indépendance contre le roi d’Angleterre. Le roi lui accorde un budget d’un million de francs pour servir à l’approvisionnement en armes et en munitions de ceux que l’on appelle désormais les insurgents.
Beaumarchais après cet aide secret du roi de France, investit, lui aussi grandement dans l’armement des américains, sur ses fonds propres espérant un retour de bénéfices à plus ou moins long terme. Il écrit des articles enflammés pour défendre la cause des indépendantistes dans « le courrier de l’Europe » il aide financièrement La Fayette pour son corps expéditionnaire de volontaires français. Il arme quarante bateaux chargés de munitions, de canons en partance pour l’Amérique et escortés par un navire de guerre privé du sieur Beaumarchais, le Fier Rodrigue.
Les insurgents, grâce à Beaumarchais, gagnent et écrasent les anglais à la bataille de Saratoga, ce succès foudroyant n’aurait pas eu lieu sans l’arrivée des armes et munitions que Beaumarchais leur avait envoyé à grand frais.
Beaumarchais et La Fayette assurent de plus en plus le succès les indépendantistes.
Mais Beaumarchais n’est pas payé en retour. Ce jour à Paris il reçoit Benjamin Franklin le représentants des insurgents.
- Monsieur pour tout paiement de mes investissements auprès des insurgents, vous avez usé de monnaie de singes, vous m’avez payé avec des assignats, une monnaie qui n’a aucun cours, je suis ruiné. Je déplore avec véhémence que vous soyez aussi ingrats, que vous m’ayez floué. Ma défense de votre cause, m’a amené à tout miser sur votre succès, et en échange vous me mettez sur la paille !
- Beaumarchais, nous vous serons éternellement reconnaissants, mais sachez que notre trésor est exsangue, que notre effort de guerre engloutit toute notre fortune, vous serez payé dignement lorsque nous aurons obtenu la victoire définitive et que nous aurons institué la république.
Finalement le roi de France entre officiellement en guerre contre les anglais, envoie sa flotte avec l’amiral d’Estaing et les fameux amiraux de Provence Forbin et de Suffren qui couleront la flotte anglaise à Chesapeake. Et La Fayette contribuera à écraser l’armée anglaise à la fameuse bataille de Yorktown. Le roi dédommagera partiellement Beaumarchais.
Il devient éditeur et lance la publication des œuvres complètes de Voltaire et de Rousseau.
Il crée la société des eaux de Paris oeuvre mi philantropique mi financière pour alimenter Paris en eau. Il écrit le mariage de Figaro. Il fonde la société des auteurs dramatiques et institue les droits d’auteurs qui jusqu’alors étaient spoliés par les compagnies théâtrales.
Son mariage de Figaro joué par la comédie française soulève l’enthousiasme des foules, il sera joué soixante sept fois, malgré la menace de la censure royale. Au Trianon la reine Marie Antoinette joue elle-même le rôle de Rosine du Barbier de Séville, elle soutient sans limite le révolutionnaire Beaumarchais, elle ne sait pas que Beaumarchais et ses pièces de théâtre contribueront à creuser sa propre tombe de reine. Mais Beaumarchais est devenu trop riche, auprès du public son discrédit est pour bientôt. C’est Mirabeau qui commencera la campagne de dénigrement du dramaturge financier. Dans des pamphlets il le traînera dans la boue, l’accusant de corruption, le qualifiant d’aventurier sans scrupule, d’agent de l’absolutisme royal.
Durant la révolution son sort vacillera souvent. Député de la commune de Paris, trafiquant d’armes pour les armées révolutionnaires, puis considéré à tort comme émigré et condamné par contumace, il vécut un exil forcé et misérable à Hambourg, ne put revenir en France qu’après la chute de Robespierre, où il fut soutenu par Talleyrand et lavé de tout soupçon.
Lui, qui avait largement contribué à l’amorce de la révolution avec ses idées libertaires et son théâtre subversif pour l’ancien régime, fut la victime de son affairisme et considéré, comme un nantis corrompu, par les révolutionnaires. Marat disait de lui :
« Qu’avons nous à gagner à détruire l’aristocratie des nobles, si elle est remplacée par l’aristocratie des riches ? »
Il meurt en 1799, laissant tout de même une fortune assez considérable à ses descendants.
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